Agnès

De plan B en plan B

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Temps de lecture 5 minutes


Depuis quelques semaines, Agnès dîne régulièrement aux Restos du coeur le lundi soir. C’est là qu’elle a retrouvé Ramdane. Elle l’a connu il y a bien des années, à la boutique Emmaüs. Un grand ami que la vie lui a fait perdre de vue mais dont elle est inséparable depuis que leurs chemins se sont recroisés. D’ailleurs, il l’accompagne pour notre rencontre. Il lui porte même son sac. Un vrai chevalier servant. Elle le taquine sans arrêt, mais elle nous le dit à plusieurs reprises, elle est vraiment contente qu’il soit là : même si on a des p’tits hauts, des p’tits bas, j’me sens sécurisée quand il est là. 

Avec pudeur, Ramdane se retire et laisse son amie se raconter. Il veille au grain et interpelle gentiment tous ceux qui pourraient gêner notre interview en s’approchant un peu trop près.

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Une enfance mouvementée

Je suis née le 6 février 1967 dans l’Aine, en Picardie, nous raconte Agnès. J’ai été placée en famille d’accueil de mes un mois et demi à mes dix-huit ans… Pourquoi ? À cinquante-quatre ans, Agnès ne le sait toujours pas. Elle grandit à Château-Thierry, chez un couple qu’elle appelle “papa” et “maman” jusqu’à ses treize ou quatorze ans. Un jour, ils m’ont dit : “tu sais tu nous appelles “papa maman” mais maintenant t’as l’âge de comprendre, tu peux savoir la vérité”! L’adolescente tombe des nues. Sa réaction ? Pendant un mois, elle ne mange plus, ne se lave plus, bref, se laisse aller. Tant bien que mal elle se ressaisit mais le mal est fait. Elle poursuit sa scolarité mais à dix-huit ans, sa famille d’accueil la laisse à son tour. Ma famille d’accueil m’a dit : “maintenant faut que t’apprennes à te débrouiller toute seule !” Après j’ai commencé ma galère, soupire Agnès.

Une vie hors système

Une vie hors du système commence pour la jeune femme à peine majeure et sans diplômes. Un jour, elle fait la rencontre de celui qui deviendra le père de ses enfants. (Elle nous montre son tatouage qui représente un cœur avec deux lettres dedans.) Une histoire qui se finit en eau de boudin. Ils vivent quinze ans ensemble mais en 2010, ils se séparent. Il tapait sur moi et les enfants, il buvait… raconte-t-elle, donc la juge m’a proposé un pacte, elle m’a dit : “soit vous restez avec le papa et vous ne voyez plus vos enfants, soit vous vous séparez du papa et vous pourrez voir vos enfants tant que vous en aurez envie”. La maman n’hésite pas une seule seconde et se sépare. Mais ses galères ne sont pas finies pour autant.

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Ses enfants avant tout

Agnès nous raconte, des sanglots dans la voix, une scène qui semble la hanter encore. Un matin, alors qu’elle est dans son appartement de Château-Thierry avec ses trois enfants, elle entend qu’on tape à la porte… Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois… j’me lève, j’vais voir, et là : « c’est la police on vient chercher vos enfants !». Un choc pour la mère de famille qui apprendra plus tard que c’est une voisine qui a donné l’alerte. Sur le coup, la police ne veut pas lui dire où elle emmène ses enfants, mais la maman se bat. L’administration accepte de donner le numéro du foyer. Attendez, la police vient j’vais les laisser partir sans savoir là où il vont m’les mettre ?! Ils auraient pu les mettre au bout du monde ! s’emporte Agnès, comme si la scène s’était déroulée hier.

Les petits ont grandi

Mes enfants c’est c’qui m’reste… nous avoue Agnès. Aujourd’hui, les trois vivent à Reims. Ils sont très complices ! Nous dit fièrement la maman. Quand elle nous parle d’eux, elle décline leur prénom, leur âge et leur situation amoureuse. Comme si c’était une composante essentielle pour celle qui n’a pas perdu l’espoir de retrouver quelqu’un et de vivre encore une histoire d’amour. Mais son plus grand rêve pour l’instant, c’est celui d’être grand-mère. Elle nous raconte, émue : Mes enfants, j’veux pas les lâcher. J’veux rester un long moment sur terre pour pouvoir être grand-mère ! Avoir mes p’tits enfants et profiter de mes p'tits enfants et d’mes enfants encore (...) Alors j’essaye de tout faire pour rester calme, pour pas que quelque chose m’arrive. Ah ouais, ça, j’ai envie d’être grand-mère depuis X temps alors j’vais pas louper c’moment ! La mère poule décrit une relation fusionnelle avec ses “petits”. Mais la bougeotte l’emporte toujours. Agnès ne peut pas s’en empêcher. Ma deuxième, elle me l’a dit quand je suis arrivée à Reims, elle m’a dit : « je sais que tôt ou tard tu repartiras parce que Reims c’est pas fait pour toi ».

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La vie parisienne

Ici, à Paris, Agnès a ses repères. Ses ami.e.s mais aussi les associations qui l’aident à se nourrir, faire ses démarches administratives - un calvaire quand on vit hors système - mais aussi rester propre, tout simplement. C’est c’que j’dis tout l’temps à Ramdane quand j’vois des gens sales. Bon, c’est méchant à dire parce qu’ils ont peut-être pas la volonté d’être comme moi, mais à l’heure d’aujourd’hui ça devrait plus exister comme avant. Avant la douche municipale on payait un euro… un euros cinquante, bon j’comprends, mais à l’heure d’aujourd’hui tout est gratuit ! 

De bénéficiaire à bénévole

Prochainement, Agnès va même commencer une activité qui lui tient à cœur… le bénévolat ! J’ai toujours aimé faire du bien pour les autres, nous raconte Agnès, excitée comme une puce, depuis qu’j’suis petite ! Et comme moi les bénévoles m’ont donnée à boire et à manger j’ai envie de le retransmettre à d’autres aussi ! Agnès veut rendre ce qu’on lui a donné et veut aussi s’occuper la tête, car être une femme dans la rue n’est pas toujours facile et les problèmes de santé qui la rongent minent son moral. Ca va m’faire du bien parce que là j’pète un plomb... dès fois j’me mets à pleurer. Agnès est une casserole en ébullition permanente. Mais elle le sent, elle va s’en sortir. La seule question c’est, par où commencer ? Moi, c’que j’demande c’est pas grand-chose aujourd’hui , j’voudrais qu’on m’aide à régulariser les papiers parce que des fois y a des mots que j’comprends pas, vous savez pour remplir les dossiers et après pour récupérer mon RSA et après on entend plus parler d’moi, j’me débrouille toute seule ! promet Agnès, la main sur le cœur. Et on la croit Agnès.

En attendant, Agnès se prête de bon coeur au jeu des photos. Elle en veut une avec Ramdane, son grand ami, pour pouvoir la montrer à ses enfants. Le mois prochain nous confie-t-elle, je vais à Reims leur faire la surprise !

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